En attendant la conférence sur James Baldwin

Publié le par universite-d-anchin

Didier BOUDET interviendra en visioconférence le 7 juin prochain sur le thème:

"Droits civiques : James Baldwin le grand démystificateur"

En attendant cette date, Didier Boudet fait parvenir le texte ci-dessous proposé à votre lecture.

 

En attendant Baldwin, triste printemps à Atlanta.

Il y a exactement 53 ans et deux jours, avaient lieu les funérailles de Martin Luther King, à Atlanta en Géorgie, dans une ambiance digne et respectueuse. Y assistaient des personnalités comme Harry Belafonte, Sammy Davis Junior et James Baldwin, ce dernier ayant rencontré fréquemment le pasteur King dans son fief de Montgomery dès la fin des années 50.

Avec un art consommé de l’analyse psychologique, Baldwin donne un portrait saisissant du leader des droits civiques dans un article fameux publié en février 1961 dans Harper’s Magazine « La dangereuse route qui s’ouvre à nous » (Retour dans l’œil du cyclone, Ed. Christian Bourgois 2015) le décrivant comme un « homme solidement ancré dans les réalités spirituelles », au charme certain, à la discrétion palpable dégageant cependant une certaine froideur qu’il serait sot néanmoins de confondre avec de la suffisance, avant d’ajouter que Martin Luther King impressionne par cet « étrange mélange de constance et de paix ». Ce texte fort, émaillé de citations d’Henry James ou de son frère aîné William (le grand psychologue américain), nous livre un portrait en creux du leader noir, entreprenant, et cela constitue là son intérêt principal, un méthodique travail de démystification de l’icône des droits civiques sans pour autant porter atteinte à la portée symbolique du personnage, littéralement canonisé de son vivant. S’ensuivent des considérations pertinentes sur l’histoire des leaders noirs (Booker T. Washington entre autres), la complexité de leur positionnement respectif ainsi que le rapport ambigu que les revues phares de la bourgeoisie afro-américaine, The Crisis en tête, entretiennent avec leur lectorat. En 1972, année qui verra la réélection de Richard Nixon, James Baldwin, passé par bien des épreuves personnelles, abordera de nouveau la figure de King dans un ensemble de réflexions qui constitue pour moi une nouvelle étape dans son art de la technique narrative (il mêle adroitement des souvenirs personnels, sait restituer la puissance émotionnelle de certaines conversations, parvient à partir d’un détail, d’un mot, d’une fulgurance à ouvrir des espaces insoupçonnés à notre réflexion tout en nous prodiguant des émotions sensorielles d’une rare puissance).

Dans Chassés de la lumière (Ed. Stock 1972, rééd. Ypsilon 2015), l’évocation de son assassinat - dont Baldwin sera informé au moment où il s’attelait à l’adaptation de l’autobiographie de Malcolm X - est prétexte à tisser une réflexion d’une rare profondeur sur la rupture qu’une notoriété chèrement acquise peut occasionner avec son milieu d’origine. Une fois de plus, si Baldwin semble, à travers la tonalité frondeuse de son approche des êtres, faire montre d’une intransigeance absolue, c’est parce que lui-même ne se laisse rien passer, l’exigence morale (et non moralisatrice) qu’il s’inflige à lui-même est l’aboutissement douloureux d’une auscultation permanente de ses propres zones d’ombres, failles, blessures et contradictions, l’écrivain se donnant pour mission de n’évoquer dans ses récits, chroniques, essais, articles, fictions que les choses dont il a fait personnellement l’expérience. Alors voilà que le costume dont il avait fait l’acquisition pour une soirée au Carnegie Hall à laquelle il avait été convié avec Luther King et que l’ironie de l’histoire lui fera endosser de nouveau au cours des funérailles de ce dernier, est propice à illustrer sa vision messianique de l’histoire.

« Mais pour moi, ce costume était taché du sang de tous les crimes commis par mon pays » assène-t-il au lecteur dans ce texte cinglant, un complet veston qu’il revendra à un ami d’enfance, facteur de son état, beau-père d’une jeune militante qui, au cours d’une discussion passionnée et houleuse, donnera au plus important contributeur de la littérature afro-américaine (et de ce fait universelle), une nouvelle matière sur laquelle l’une de ses réflexions parmi les plus nutritives de son époque, aura tout le loisir d’éprouver à nouveau son incroyable vitalité.

Didier BOUDET - 11 avril 2021 -  

 

 

 

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