Les dernières publications de notre conférencier : Didier Boudet

Publié le par universite-d-anchin

Le 3 mars 2022 marque les 40 ans de la disparition d’un créateur, Georges Pérec, à qui j’avais consacré il y a 5 ans une émission de radio ainsi qu’un article.

Emission de radio :

Instants critiques n ° 10 Georges Pérec by Modeste Baron | Mixcloud

Georges PEREC, chez lui, en 1965

https://www.youtube.com/watch?v=VirJRu_Q_rU&feature=emb_title

Article :

Maladroit, toujours angoissé (il en mourra), avec un rien de malice dans la voix pour dissimuler l’émotion suscitée par ce rêve éveillé que représente à ses yeux le succès tant attendu de son (faux) premier roman (« Le Condottière » rédigé en 1957 a été publié en 2012), Pérec répond du tac au tac dans ce portrait faussement figé que lui consacre la télévision française, tentant avec un rien de distance amusée dans la voix, de comprendre le pourquoi du comment de cet étrange roman, « Les Choses », prix Renaudot 1965.

A l’époque, Georges Pérec, obscur documentaliste parisien ne vit toujours pas de sa plume (bien que tenant à inscrire la mention homme de lettres sur les papiers administratifs), il ne quittera ses fonctions de documentaliste qu’à la parution de « La vie mode d’emploi », dix ans plus tard. S’il ne s’agit toujours pas d’une véritable reconnaissance publique, les louanges font de cet OVNI éditorial que constitue la parution des « Choses » (titre dont la sobriété apparente s’inspirait volontairemnet des « Mots » de Sartre) un événement éditorial sans précédent, particulièrement bien relayé dans la presse nationale toutes obédiences politiques confondues, à l’époque où les medias prennent déjà un malin plaisir, la faute à l’effet Sagan, à transformer la publication d’un nouvel ouvrage en un événement semi-mondain qui a ses codes, ses règles, ses rites et ses poncifs.

Aventures et mystère

Ce roman, à mi-chemin entre le compte rendu sociologique et le documentaire générationnel, connaîtra plus qu’un simple succès d’estime que Pérec, la trentaine bien tassée, saura réceptionner avec la distance qui sera toujours sienne, faisant montre d’une ironie typiquement lukacienne, ce grand théoricien des lettres dont il chérissait tant les réflexions sur le roman moderne, dans sa façon de brouiller les pistes et de jauger soigneusement la valeur des indices à fournir sur l’intention cachée de son récit.

Ce jeu de dupes, pas encore jeu de go, est d’autant plus irritant pour le pauvre journaliste que le lieu dans lequel Pérec est interrogé (la rue de Quatrefages dans le Vème) ressemble à s’y méprendre à celui que l’auteur a décrit trait pour trait dans cette histoire des années 60, aussi courte qu’intense, où l’art de la description totalement repiqué à Flaubert (une douzaine d’extraits empruntés à l’oeuvre du maître se trouvent enchâssés dans la trame du récit) fait merveille en pleine vogue du Nouveau Roman et de frénésie du structuralisme, proposant entre ces deux termes de fond un nouveau courant moins opaque que le premier et plus frais que le second.

La lettre volée

Roland Barthes pour « Mythologies », en latence dans les fantasmes étriqués du couple d’apprentis sondeurs, Paul Nizan pour la généalogie, Antelme pour le rapport à l’Histoire avec un grand H, Flaubert pour les questions de style, telles sont les quatre influences principales que Pérec aura à l’esprit lorsqu’il rédigera « Les Choses ». Il l’avouera sans ambages dans une conférence éclairante donnée dans un campus américain peu de temps avant sa mort. S’il délivrait, généreux pédagogue, ses sources d’inspirations littéraires, pourquoi a-t-il toujours refusé d’assumer les éléments purement autobiographiques qu’il avait intégrés dans ce fameux roman ?

L’Art Nègre, connais pas ! affirmait fiévreusement Picasso devant ses nymphettes taillées dans le bois séculaire de cette Afrique fantôme si bien analysée par Leiris, et Pérec d’ajouter provocateur à souhait que Sylvie n’est pas plus Paulette que Jérôme ne serait Georges. On ne le dira jamais assez, la création est bel et bien l’univers préféré du mentir-vrai cher à notre vieil Aragon.

Didier BOUDET, article publié le 9 juillet 2017

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